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Témoignage | J’ai Été Juré En Cour D’assises

Il y a un an se terminait 3 semaines intenses durant lesquels j’ai vécu une expérience unique, aussi troublante qu’enrichissante. Voici mon témoignage de juré à la cour d’assises de mon département.


Avant de vous raconter mon expérience, petit rappel (ou non) sur ce qu’est un juré en cour d’assises. Quand un citoyen français de plus de 23 ans est inscrit sur les listes électorales, il peut être tiré au sort pour faire parti d’un jury populaire pour des procès se tenant à la cour d’assises de son département. La cour d’assises juge uniquement les crimes, à savoir les infractions les plus graves et pour lesquels les peines encourues sont les plus lourdes.

L’avant

Lorsque j’ai reçu un premier courrier me disant qu’en 2019 je pourrais être tirée au sort pour être juré à la cour d’assises je n’ai pas vraiment pris la chose au sérieux. Beaucoup dans mon entourage avaient déjà reçues un courrier similaire mais personne n’avait jamais été rappelé par la suite. Puis j’ai reçu un deuxième courrier pendant l’année. Celui-ci me disant que j’avais été tirée au sort pour siéger sur une session de 3 semaines avec quelques détails sur les affaires à juger.

Ce courrier était très spécial. J’ai compris la gravité des crimes qui allaient être jugés quand j’ai lu les mots “viol sur mineur, meurtre sur conjoint, vol à main armé…”. Sans beaucoup plus de détail, simplement une explication assez floue de ce qui allait se passer durant la session et mon rôle à jouer en tant que juré à la cour d’assises. J’ai essayé de trouver des témoignages d’anciens jurés pour comprendre un peu plus et me rassurer. Ce dont j’avais le plus peur c’était de ne pas être assez forte psychologiquement. J’avais peur d’entendre ou de voir des horreurs qui me marqueraient à vie.

Le premier jour à la cour d’assises

Pour me rassurer j’avais réfléchis à tous les points positifs que cette expérience allait m’apporter :

  • J’étais vraiment curieuse de voir de l’intérieur comment la justice opère.
  • Comprendre comment les accusés sont jugés et comment les victimes sont écoutées.
  • Voir les avocats plaider.
  • Faire un acte citoyen indispensable à la société.
  • Un peu plus superficiel mais tout aussi intéressant, j’avais la chance de voir le palais de justice de Rouen de l’intérieur. Il date du 16ème siècle et a été en parti détruit pendant la guerre, c’est un lieu historique que je ne connaissais que d’extérieur.

Arrivée au tribunal pour le premier jour le stress était vraiment à son comble. Heureusement la greffière et la présidente de la session nous ont tout de suite mis à l’aise. Elles nous ont expliqué notre rôle, l’importance du jury populaire pour le jugement d’un crime… Et puis grande surprise que je n’avais pas du tout compris en lisant les courriers : il y aura un tirage au sort le premier jour de chaque procès. Seulement 8 ou 9 d’entre nous (6 jurés et 2 ou 3 suppléants) seront appelés à siéger pour chaque affaire. J’ai oscillé entre le soulagement et la déception. Je n’aurais peut être pas à “subir” ça et en même temps quitte à être arrivée jusqu’ici j’aimerai être tirée au sort au moins une fois pour le vivre.

Enfin, avant le premier tirage au sort de la première affaire nous avons eu l’intervention d’une avocate de la défense. Elle nous a présenté son métier, les préjugés sur le fait de défendre le ou les accusé.s… Elle nous a également rappelé un des fondement principal de la justice : “toute personne a droit à ce que sa cause soit entendu équitablement, publiquement…”. Son intervention était vraiment très intéressante et je l’ai trouvé personnellement nécessaire. A nous qui ne travaillons pas dans la justice ou n’avons pas étudié le droit, il était bon de nous rappeler le bien fondé d’un procès équitable.

Être juré pour un procès

Ma plus grosse appréhension était le jugement d’un meurtre car j’avais peur de voir les photos d’un cadavre. On a beau en voir dans les films, savoir que celui-ci était une vraie personne décédée me faisait vraiment peur. Par “chance” je n’ai pas eu à siéger pour cette affaire. Néanmoins les 2 autres affaires pour lesquelles j’ai été tirée au sort lors de cette session étaient tout aussi marquantes. Je ne donnerai pas de détails sur les affaires jugées, d’autant plus qu’elles étaient à huit clos car concernaient des mineurs. Mais voici mon ressenti…

L’affaire qui m’a le plus marqué était un “viol sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité”. Par “mineur de 15 ans” il faut comprendre mineur de moins de 15 ans, et là, quand on voit sur le banc de la partie civile, qui est la victime et son âge c’est un choc. Entre ce que l’on voit ou entend dans les médias et être là en direct à écouter dans les moindre détails les faits reprochés c’est vraiment différent. Il faut s’accrocher et surtout se rappeler d’être “juste”. Mais comment être juste quand on a face à soi une enfant détruite, qui a l’âge de ma petite sœur ? Elle a un regard d’une personne âgée, l’innocence et la fraicheur qu’on est supposé lire sur son visage font place à des yeux remplis du désespoir qu’elle doit ressentir au fond d’elle !

Pendant 4 jours les témoignages et interrogatoires s’enchainent. Le but est de connaître toute la vie de.s l’accusé.s comme de la.les victime.s. De comprendre leur état psychologique, d’avoir les versions de chacun du crime présumé et tout élément qui pourrait nous aider à juger (nous = le jury populaire, le président et ses assesseurs). Je ne pensais pas qu’on aurait autant d’informations sur les protagonistes. J’avais l’impression qu’on finissait par les connaître mieux qu’eux même ! Ce qui m’a aussi rassuré sur le fonctionnement de notre justice, rien n’est laissé de côté. Lorsque le jury et les magistrats se retirent pour délibérer nous avons normalement toutes les informations possibles qui aideront à juger au plus juste. Ce n’est pas parce que l’accusé est déclaré coupable qu’il est condamné à la peine maximale encourue par le crime commis. Je n’avais aucune idée de la quantité d’informations qui étaient prises en compte pour déterminer la gravité d’un crime et sa peine.

Les échanges entre les jurés et les magistrats lors des pauses et de la délibération sont vraiment très intéressants. L’être humain comprend vraiment différemment les choses en fonction de son vécu et de sa personnalité. Nous avons peut-être tous entendu la même chose et pourtant nous n’avons pas tous compris ou interprété de la même façon. C’est pour cela également que je trouve indispensable le rôle des jurés en cour d’assises. En tant que jury populaire, nous sommes un échantillon de la population. Nous avons tous un métier, une personnalité et un vécu différent. C’est ce qui fait à mon sens que le jugement est au plus juste.

L’après

Un an après je suis reconnaissante d’avoir pu vivre cette expérience bien que certaines choses m’ont marquées à vie. Il y a des mots, des noms, des visages, des réactions, des émotions, des regards que l’on ne peut oublier. Ce qui m’a le plus marqué c’est le décalage entre “mon monde” et celui des personnes qui étaient en face de moi (accusés comme victimes). Les protagonistes des 2 affaires pour lesquelles j’ai été tirée au sort vivaient dans un milieu très pauvre. J’étais face à des personnes extrêmement démunies et dans des situations tellement précaires. Je ne suis pas riche, je vis dans une ville où les “catégories sociales” sont très mixées et pourtant je trouve le décalage très fort entre la pauvreté que je pensais connaître et la réalité.

J’ai mis quelques semaines à “m’en remettre” et j’y pense encore très souvent. J’aimerai parfois savoir ce que certaines personnes sont devenues. Savoir si les victimes réussissent à se reconstruire maintenant que les coupables de leur mal-être sont en prison ? Je me suis posée beaucoup de questions aussi. La principale étant en rapport avec la situation extrêmement précaire des personnes, accusées comme victimes. Si elles avaient été mieux accompagnées dans leur vie est-ce que la situation que nous avons eu à juger aurait pu être évitée ?

Cet article est un peu spécial mais je ressentais le besoin de l’écrire. J’aurais aimé trouver plus de témoignages avant d’y aller alors en voici un de plus. Cette émission “Ça commence aujourd’hui” avec le témoignage de 3 jurés m’avait aidée. Si jamais vous lisez ceci car vous allez être juré en cour d’assises et avez des questions n’hésitez pas à me contacter. Vous pouvez commenter ce post ou bien me contacter via le formulaire de contact. Je me rappelle vouloir me préparer au maximum avant d’arriver au tribunal. Mais je pense que quand on ne travail pas dans le social ou l’humain c’est très compliqué de se projeter. J’avais avec moi des jurés qui étaient moins choqués de certaines situations par leur métier (pompier et infirmière). Mais ce n’est pas pour autant qu’ils étaient préparés à ça, je pense qu’on ne l’est jamais vraiment.

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0 réflexion sur “Témoignage | J’ai été juré en cour d’assises”

  1. Hellooo, c’est un très bon article que tu as écrit. Très intéressant et je me suis toujours imaginée que ça devait être une épreuve assez difficile à vivre. Pas facile de “décider” du destin de quelqu’un. Merci pour cet article 🙂

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